Musée du Cinéma à Téhéran
Depuis sa naissance, le cinéma iranien entretient d’étranges liens avec le pouvoir. Tout commence lors d’un voyage en Europe du Shah Mozaffar Ed-In qui achète une caméra et demande à son photographe officiel de filmer une parade florale à Ostande, le 18 août 1900. Ainsi naît le premier film iranien.
Longtemps, le cinéma ne restera qu’un jouet à usage privé aux mains du Shah. Même si les premières salles voient le jour rapidement, dès 1904, elles ne prendront leur essor à Téhéran et en province qu’à partir des années 20. En 1928, une salle de cinéma exclusivement réservée au public féminin est même ouverte. Une expérience audacieuse qui se révélera un échec commercial.
Malgré quelques réticences de la part des religieux au début, le cinéma trouva peu à peu une légitimité dans une société traditionaliste. Il faut attendre néanmoins 1932 pour que soit réalisé le premier long métrage Hadji Agha, acteur de cinéma de Ovanes Ohanian – film muet montrant de façon parodique les hostilités à ce nouvel art venant d’occident. Le premier film parlant, La fille de la tribu Lor d’Ardeshir Irani et Abdol Sepanta est également le premier film censuré. Les autorités imposent au réalisateur une fin de propagande absurde : un voyant annonçant qu’un jour une étoile, Reza Shah, sortira le pays du chaos et du banditisme et lui redonnera la gloire du passé. La production iranienne se fait rare et le public y préfère les productions américaines, indiennes et égyptiennes. Dans les années soixante, la production iranienne devient plus importante avec des films de divertissement fortement inspirés des films indiens et égyptiens, souvent d’une qualité ordinaire. Ils ont souvent comme héros des voyous au grand cœur (les djahels) et, à travers eux, sont indirectement abordés les thèmes de la pauvreté, de l’injustice sociale – maux dont souffre alors une grande partie de la population.
Le « cinéma d’auteur » prend forme également dans ces années avec Farrokh Gaffari, assistant d’Henri Langlois et fondateur de la cinémathèque d’Iran en 1958, auteur de Sud de la ville (1958) qui resta interdit pendant cinq ans, Ebrahim Golestan, auteur de la brique et le miroir (1965) ou encore La maison est noire (1962) réalisé par Forough Farrokhzad (une femme !). Entre nouvelle vague, néoréalisme italien et fatalisme chiite, toute une génération de réalisateurs prennent leur caméra pour dénoncer la misère de la population : la vache de Dariush Mehrjuï (premier film iranien à avoir reçu des prix à l’étranger), Gueyssar de Massoud Kimiaï et un certain Kiarostami avec le passager. Ce mouvement prend le nom de Cinemay-é-motafavet (cinéma différent). Devant passer entre les mailles de la censure, ces cinéastes jouent de finesse, en multipliant les niveaux d’interprétations, pour dénoncer les excès du régime et l’incapacité de la société à fonctionner dans un pays ou le modernisme se butte brutalement aux traditions ancestrales.
A la révolution islamique, on aurait pu croire que s’en était fini de l’industrie cinématographique iranienne. Toutefois, au lendemain du triomphe du 11 février 1979, l’ayatollah Khomeiny fait une déclaration surprenante : non seulement il ne prend pas position contre le cinéma, mais il l’encourage … tout en traçant une ligne directive « islamiquement correcte ». En quelques mois, le régime impose toute une série de règles non écrites : la sympathie du spectateur ne doit pas aller au criminel ou a celui qui a péché, le mariage et la famille doivent être respectés (aborder le sujet du divorce n’est autorisé qu’à partir de 1998 et ne peut être filmé que sous un jour négatif), l’adultère ne doit pas être évoqué, les hommes et femmes ne doivent pas se toucher (même s’ils sont mariés), il est interdit de montrer une femme maquillée, le blasphème est strictement interdit, les religieux ne peuvent être dépeints comme des personnages comiques ou malhonnêtes…
Un cinéma de propagande voit également le jour. De jeunes idéalistes révolutionnaires dénoncent l’ancien régime et mettent à l’honneur les valeurs de la révolution. Les titres de certains de ces films parlent d’eux-mêmes : Quand le peuple se lève, Les Rizières sanglantes, Les Révoltés, Le Cri du moudjahid, Le Soldat de l’islam, La Pluie de sang...
Le premier film postrévolutionnaire iranien recevant un prix à l’étranger est le coureur d’Amir NADERI en 1985. A partir de là, de nombreuses œuvres, même si leurs projections sont interdites en Iran, sont autorisées à être exportées et connaissent un vif succès en Europe : Abbas KIAROSTAMI, Mohsen et Samira MAKHMALBAF, Jafar PANAHI, Hassan YEKTAPANAH, Bahman GHOBADI … leur Censure est parfois un gage de publicité pour accrocher un prix à l’étranger.
Pour aller plus loin, nous vous conseillons deux ouvrages :
Histoire du cinéma iranien 1900-1999, édité par la Bibliothèque publique d’information du centre Pompidou, écrit par un collectif dont Mamad HAGHIGHAT
Politique du cinéma Iranien, de l'âyatollâh Khomeiny au président Khâtami, Editions du CNRS, écrit par Agnès Devictor, Paris 2004.